De la tête à la queue
Par Laure Espieu
Dans les pâturages des Landes, au cœur d’une terre de tradition gastronomique, les douces collines couvertes d’herbe grasse produisent une viande rouge et goûteuse. Depuis trois générations, la famille Aimé veille avec fierté sur ce patrimoine et perpétue le savoir faire des artisans bouchers. Cathy, la fille, a repris les rênes de l’affaire à Dax.
Elle vous prend par le bras pour vous commenter les nombreuses photos de famille. Les clichés délavés ornent la boucherie, les bureaux à l’arrière de la boutique, et certainement aussi une bonne partie de la maison familiale à l’étage. Ça commence avec un alignement imposant de croupes, immortalisées en gros plan. « C’est à ça qu’on évalue la bête, explique notre hôtesse. Il faut que l’arrière-train soit plein et rebondi », jure-t-elle en joignant le geste à la parole. Puis on ressort, pour admirer sur la façade, un immense tirage noir et blanc. Des hommes aux tabliers immaculés, longs jusqu’aux pieds, encadrent fièrement un bœuf au dessus duquel sont exposés comme une guirlande, une ribambelle de gibiers à plume. On y voit Raymond et Madeleine Aimé, les grands-parents, prenant la pose devant la même vitrine qu’aujourd’hui.
De l’étable à l’étal
Si Cathy Aimé perpétue l’héritage familial, c’est qu’une entreprise fondée en 1927, forcément c’est un peu viscéral. Dernière de la fratrie, avec trois ainés devant elle, son truc c’était plutôt le voyage. Professionnelle du tourisme, naviguant entre la Jamaïque, l’Espagne, et Londres, elle n’avait pas vraiment la fibre de la boucherie. C’était jusqu’à ce que son père décède subitement d’un AVC il y a dix ans. « D’un coup, ça me paraissait impossible de tout vendre. Alors je me suis dit : je vais essayer. Je suis rentrée à Dax, et je me suis lancée tête baissée ». Elle dit qu’elle n’était pas préparée à ça. Que gérer 16 salariés, superviser les achats et les affaires courantes, démarcher de nouveaux clients, tout en s’installant chaque matin aux fourneaux pour mitonner les bons petits plats qui seront livrés aux personnes âgées, ça fait beaucoup. Mais elle dit aussi qu’autour de chez elle, dans ce terroir d’exception, grandissent des bêtes magnifiques, et que c’est maintenant son métier de protéger ce savoir faire et de conserver la tradition.
L’appellation Bœuf de Chalosse, distinguée d’un Label Rouge et d’une IGP (Indication Géographique Protégée), a été créée par son père, Michel Aimé. Avec une poignée d’éleveurs passionnés, ils créent une association destinée à valoriser les bêtes remarquables. Elle rassemble aujourd’hui 380 producteurs, et n’est vendue que chez des artisans bouchers. Cathy perpétue cette philosophie : des bœufs de qualité, sélectionnés directement dans le pré, que son équipe va amener à un niveau de finesse optimal. Pour ça, la viande doit être laissée à rassir durant 3 semaines. Elle reste à maturer sur la carcasse afin de gagner en tendreté, jusqu’à être prête pour la découpe. Alors, vient le service, dernier maillon d’une chaîne d’excellence.
« Notre métier c’est de vendre les bêtes de la tête à la queue », estime Cathy Aimé. « Aider le client à mieux connaître les viandes, à les choisir, le conseiller sur la conservation, la cuisson, l’accompagnement, c’est lui dire pourquoi il va se régaler ».
Tout un art, dans lequel elle baigne depuis l’enfance.
Sur les genoux du charcutier
Sur la cheminée, dans l’arrière-boutique, Cathy Aimé ramasse un livre dont elle feuillète les photos, encore. On y voit Michel, son père, avec plusieurs cuisiniers célèbres. L’entreprise compte parmi ses clients de nombreuses adresses prestigieuses : le Georges V, la Tour d’argent, le Crown Plaza. « Mon père était très entrepreneur. Il s’est beaucoup battu pour la profession, mais c’était surtout un fin gourmet, pointe sa fille. On a été initiés tout petits aux plaisirs de la table et on partageait ça avec les salariés. Ils mangeaient avec nous, et j’ai souvent ensuite regardé la télé sur les genoux du charcutier ».
Cette ambiance familiale, a su perdurer au fil du développement constant de l’affaire. Doté d’une mère aux idées larges, Michel est envoyé se former dans une école en Suisse germanophone. De retour, il est bilingue, ce qui se révèle un sérieux atout face à l’afflux de clientèle allemande sur la côte landaise. La famille tient en effet un stand en dur sous la halle de Capbreton depuis 56 ans. Puis l’activité s’élargit au gros et au demi-gros : restaurants et collectivités passent leurs commandes. « Pas mal d’enfants mangent du Bœuf de Chalosse, et je me dis que c’est bien qu’ils aient des produits du coin », se satisfait Cathy Aimé. Récemment une nouvelle boutique a encore vu le jour dans le centre-ville de Dax, où on la retrouve derrière le comptoir tous les dimanches matin. Et quand elle se détend, c’est à table, avec… une bonne viande et un verre de vin !
Cathy Aimé – Boucherie Aimé
3 avenue de la République, Dax
Tél : 05 58 74 24 37