L’innovation à la mode pastorale
Par Sonia Moumen
On pourrait la prendre pour une illuminée mais il suffit d’échanger avec cette femme de conviction pour comprendre que les créations fromagères de Christine Arripe relèvent de la vraie innovation. Se diversifier, offrir de nouveaux produits, trouver de nouveaux débouchés pour son lait (de brebis) et pour sa viande (d’agneau, de brebis, de veau), tout en restant une artisane, tel est le défi que s’est lancé cette étonnante bergère.
Yeux verts intenses, sourire chaleureux, élégance discrète, Christine Arripe n’a rien de l’archétype de la bergère. Pas vraiment étonnant, car avant de se lancer dans la brebis, Christine a eu une première vie de comptable. « Je commençais un peu à m’ennuyer au milieu des chiffres quand mon mari a repris l’élevage bovin de ses parents. Comme il était très présent sur l’exploitation et si je voulais que l’on continue à passer du temps ensemble, je n’avais pas vraiment le choix. Et puis je voulais rester au pays.» Le pays, pour Christine, c’est les Eaux-Bonnes par son père, ancien menuisier-charpentier, et la vallée d’Aspe par sa mère, ancienne commerçante. Avec de pareilles origines, Christine n’est « pas du métier », selon l’expression consacrée chez les bergers.
Qu’a cela ne tienne, elle s’élance plus qu’elle ne se lance à la tête d’un tout petit cheptel : 60 brebis laitières, là où la plupart des bergers possèdent des troupeaux de 300 à 400 têtes. Elle installe ses Basco-Béarnaises pas très loin des Blondes d’Aquitaine de son mari, à flanc de la montagne verte qui a donné son nom à la ferme, dans le petit village d’Aas connu pour ses bergers siffleurs. Un BEP agricole en poche, elle vit des débuts parfois difficiles entre la traite manuelle dont elle maîtrise mal les gestes « j’avais peur de leur faire mal », la conduite du troupeau en estives aux beaux jours « il m’a fallu du temps pour apprendre à contrôler mes brebis » et la fabrication du fromage.
Le goût de la création
Le métier finit par rentrer même si l’équilibre économique de l’exploitation reste fragile. « À présent j’ai 90 brebis, il m’en faudrait plus pour pouvoir en vivre mais je n’ai pas la surface fourragère pour les nourrir.» Un casse-tête que Christine a essayé de résoudre en créant en parallèle une activité de chambres et tables d’hôtes, pendant que son mari travaille l’hiver sur les remontées mécaniques de la station de ski de Gourette toute proche. C’est en réfléchissant à comment garnir au mieux sa table qu’elle a l’idée d’offrir à ses convives un plateau de fromages entièrement fabriqués à partir du bon lait de ses Basco-Béarnaises. Là où jusqu’ici Christine ne produisait que de la tome de brebis, elle commence par créer un dessert lacté : une confiture de lait « ma grand-mère avait vécu en Argentine, j’ai repris sa recette du dulce de leche qu’elle faisait quand j’étais petite.»
Puis vient la faisselle qui une fois égouttée peut s’accommoder aux piments d’Espelette, aux herbes fraiches ou à la confiture d’oignons. Elle a le dessert, elle a l’entrée, ne manque plus que l’apéritif. Elle imagine alors sa « Fétasse », une féta de brebis des Pyrénées marinée dans l’huile d’olive et les épices. Un régal surtout si on a la patience de la laisser vieillir plusieurs mois. Nature, la féta de Christine s’utilise aussi très bien en plat chaud. « Chaque année, j’innove et je crée un nouveau produit » résume l’énergique et énigmatique bergère. « En 2013, je me suis lancé dans le Reblossau, une sorte de Reblochon de brebis et en 2015 dans le camembert. Les gens sont surpris. Quand ils viennent ici pour m’acheter du fromage, ils pensent trouver simplement de la tomme, ils goûtent à tout et repartent souvent avec un plateau ! »
A la recherche du Bleu disparu
En 2014, la tête chercheuse de la montagne verte s’est lancée dans un Bleu. Un régal. Seul hic, elle n’a jamais réussi à le refaire : « quand j’innove et que je cherche, je ne note rien, je fais souvent à l’intuition… .» Un jour peut-être Christine retrouvera-t-elle au milieu de ses marmites, chaudrons et moules, le chemin vers le Bleu disparu. En attendant, les innovations fromagères de Christine représentent 50% de sa production. Le reste est réparti entre la tomme traditionnelle et celle en marque d’estives qu’elle fabrique durant l’été, quand ses brebis pâturent en altitude à Gourette. Outre le plaisir d’innover, ce sont aussi des raisons économiques qui l’ont poussée dans la voie de la diversification : « au moment de la crise du lait, je me suis dit que je pourrais transformer le lait en fromage. »
« La confiture de lait ou les faisselles ne demandent pas d’affinage, je n’ai de toute manière pas assez de place dans mon tout petit saloir. Ils se vendent vite, ce qui génère de la trésorerie. Là, c’est l’ancienne comptable qui parle ! » lance-t-elle, un brin facétieuse. Même chose pour ses brebis réformées (qui n’agnèlent plus car trop vieilles) « l’idée qu’elles partent à l’abattoir pour un prix bradé ne me plaît pas. Je préfère les revaloriser en en faisant des pâtés et des préparations.» Quant à ses 25 Blondes d’Aquitaine, elle a commencé à en vendre les veaux directement aux particuliers et aimerait pouvoir les transformer en petits plats gourmands… . Ce n’est pas l’énergie qui manque à Christine, même si parfois le découragement la gagne. Ne pas être du métier, être une femme, porter une entreprise et innover n’est pas simple, en Béarn comme ailleurs.
La ferme de la montagne verte
Quartier Aas
64440 Eaux-Bonnes
tél : 05 59 05 39 16