Bertrand Lung, un terrien à la mer
Par Ariane Puccini
La gambas du Médoc, aka la gambas japonicus, est chez Bertrand Lung, reine des bassins des marais salés, au nord du Médoc où elle batifole dans des eaux surveillées avec amour. Ni trop salés, ni trop doux, idéalement riches en phytoplanctons, les bassins voient également proliférer palourdes, esquires, anguilles et crabes. Et depuis l’année dernière, La ferme Eau-Médoc affine des huîtres, remettant au goût du jour une tradition d’élevage interdite depuis 30 ans dans l’estuaire de la Gironde. Une passion que le producteur partage volontiers lors de visite guidée de sa ferme où il vend en direct sa production.
« Je suis un bavard. » Bertrand Lung préfère prévenir ses interlocuteurs : quand il s’agit de son marais salé, l’homme est intarissable. « À l’époque, pour se lancer dans cette aventure, il fallait être un peu barré », reconnaît-il aujourd’hui en riant. Belle folie en effet, lancée il y a 26 ans, sur un bout de polder médocain, ces terres arables gagnées sur les eaux de l’estuaire de la Gironde. Il fallait être assez « barré » pour imaginer que ces terres de palus, qui avait été recouvertes de riches limons déposés par les marais, une terre si fertile pouvait être destinée à autre chose qu’à l’agriculture. Et pourtant Bertrand Lung a eu littéralement un coup de foudre pour cette parcelle qu’il s’est appliqué à creuser et façonner pour installer les bassins de sa ferme aquacole. Le jeune homme d’alors avait participé dans les années 80 en tant que stagiaire aux premiers tests d’élevage de gambas au Verdon-sur-Mer. Depuis, il ne quitterait plus ce bout de France, mise à part lors d’une parenthèse africaine de deux ans. En 1989, il revient, toujours décidé à s’installer ici.
Son « jardin » extraordinaire
« J’aspirais à la mer », se souvient-il. Pourtant, ce nancéen qui compte dans sa famille plusieurs agriculteurs, ne voulait pas renoncer au travail de la terre. Le marais « qui se façonne comme un jardin », dit humblement l’aquaculteur en désignant les 17 hectares de son exploitation, semble alors le meilleur compromis pour lui. Dans ces bassins creusés dans l’agile étanche, Bertrand Lung veut d’abord affiner des huîtres de l’estuaire. Longtemps interdit à cause des installations portuaires au Verdon sur mer, tout au bout de la pointe du Médoc, l’affinage de l’huître dans l’estuaire est à nouveau autorisé quand Bertrand Lung décide de s’installer.
Lui-même friand de ce coquillage espère que cette activité lui assurera un revenu stable, le temps de lancer l’élevage de gambas du Médoc, encore balbutiant à la fin des années 80. Mais une pollution des eaux de la Garonne au cadmium oblige l’aquaculteur à ne compter que sur l’élevage de gambas du Médoc. Et depuis, il dompte ce marais, inlassablement. L’homme est aussi intarissable sur l’alchimie des bassins qu’il surveille quotidiennement, ce mélange des eaux douces de la pluie et de l’eau saumâtre et riche de l’estuaire qui emplit les bassins. Bertrand Iung veille inlassablement sur ses bassins, y compris la nuit quand il faut aller pêcher la capricieuse et exigeante gambas japonicus qui ne se réveille que sous les étoiles. Il habite d’ailleurs une petite maison, installée entre deux bassins, juste derrière la boutique où il transforme et vend en direct sa production.
David sinon rien
Bertrand Lung est maître en ces lieux, et il veille jalousement sur son indépendance. Dans ses jeunes années, il a décroché un BTS de commercialisation alimentaire. « J’y ai appris les techniques pour pendre les agriculteurs », affirme-t-t-il avec un sourire amer aux lèvres. Depuis, il s’est fait le serment de se tenir à distance de la grande distribution qui « fait dans les premières années des ponts en or aux producteurs, et vous achète de plus en plus, jusqu’à 50 ou 60% de votre production ». Bertrand Lung ne veut pas être dupe : « Un jour, c’est eux qui décident de vos prix. » Il se méfie aussi du mirage de la croissance de sa PME.
« Dans l’agroalimentaire, il faut soit être très gros, soit petit. À une taille intermédiaire, c’est compliqué », considère celui qui a préféré être David plutôt que Goliath. « Je n’avais pas 50 solutions, soit j’acceptais qu’on me trait, soit je me débrouillais pour produire moins mais devais valoriser ma production moi-même », commente-t-il, sans ambages. Exit centrales d’achat ou même traiteurs de mariage. Personne d’autre, exceptés ses clients finaux et ses 3 à 5 employés à l’année, ne pourraient mettre la main sur ses coquillages et gambas. La réticence de Bertrand Lung pour voir grandir son entreprise ne l’empêche pourtant pas de se lancer dans de nouvelles aventures. La dernière en date : le retour de l’affinage d’huîtres dans ses bassins à nouveau autorisé dans l’estuaire de la Gironde après 25 ans d’interdiction.
Ferme Aquacole Eau-Médoc
Port de Saint-Vivien-de-Médoc
33590 Saint-Vivien-de-Médoc
tel : 05 56 09 58 32
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.