« Les gens passent, la ferme, elle reste. »
Par Pierre Hivernat
En agriculture comme en élevage, il faut se méfier des modèles. Et pourtant. Voilà un éleveur de canards qui est passé par toutes les couleurs de la production intensive pour s’apercevoir que moins et mieux pouvait générer autant de revenus que toujours plus, bref, un modèle pour l’avenir et d’ailleurs Jean-Michel est un militant.
On arrive à la ferme en passant au ras de l’église. Si les dieux de l’agriculture et de l’élevage intelligents existent, sûr qu’ils se sont installés dans le clocher de l’église Saint Jean Baptiste à Domezain-Beraute. Ils ont aussi visiblement influencé les pensées de Jean-Michel sur l’éternité, qui nous accueille à froid par cette phrase définitive : « Les gens passent, la ferme, elle reste. » C’est simple et logique mais ça vous en bouche un coin philosophique. « Mon père était ouvrier agricole, comme mon grand-père. Moi je suis le cadet de la famille et j’ai dû très vite travailler au titre de l’aide familiale. En 1982, je me suis retrouvé à la tête de 11 hectares et, à l’époque, on ne faisait que ce que l’on nous disait de faire ou plutôt là où tombaient les subventions. » Ce fut donc maïs semence à fond les remorques bruxelloises et puis quelques canards et oies, histoire de ne pas rompre totalement avec la tradition locale.
Confusément, Jean-Michel sent que ce système n’est bon ni pour la terre, ni pour les hommes et en aucun cas porteur d’avenir. Les cours fluctuent, le développement dans un cadre inventé dans des bureaux de fonctionnaires ne lui paraît pas viable sur le long terme. Il tâtonne sévère sur la diversification, jusqu’à commercialiser en 1988 du pâté de lièvre des marais, une jolie appellation marketing pour éviter le mot ragondin dont la fourrure se vend aussi très bien. « En 1986, j’ai pris ma calculette et je me suis aperçu que si j’augmentais ma production de canards, un marché stable, je pouvais largement compenser les indemnités aléatoires pour le maïs. En 1988, je me suis donc vraiment lancé pour ne faire plus que du canard, mais je faisais ça comme on m’avait appris à l’école. Les canards étaient nourris avec des graines industrielles et parqués dans des espaces trop petits. C’est cette concentration qui produit des maladies et qui oblige ensuite à utiliser des antibiotiques. Bref, ça ne me plaisait pas du tout. Pour défendre un autre modèle, on a créé cette année là l’Association des producteurs fermiers du Pays Basque. On a écrit une charte en essayant de trouver une vraie définition de ce qu’est un fermier. A l’époque, on était 45, maintenant on est plus de 250. En 1988, on était très mal considérés, le Président de la Chambre d’Agriculture nous recevait quasiment comme des gitans. »
Bon, alors, ça ressemble à quoi alors un vrai fermier ? Direction la Mecque du canard heureux à deux kilomètres de là. On constate d’abord que la ferme d’origine du grand-père est toujours debout avec un projet de réfection pour bientôt pour la remettre en selle pour les prochaines générations, conformément à la philosophie de Jean-Michel. On est accueilli par une tripotée de jolies poules de Marans qui ont pour principales caractéristiques de pondre des œufs quand elles ne se baladent pas dans un environnement qui doit leur paraître gigantesque et où elles peuvent trouver une partie de leur nourriture comme leurs sœurs guerrières, les poules sauvages. Petite diversification qui commence à prendre de l’ampleur dans l’entreprise de Jean-Michel. Mais cet endroit est avant tout conçu comme un paradis pour canards. De leur plus petite enfance en couveuse dernier cri jusqu’à leur baignade dans la rivière qui longe la propriété, les palmipèdes ne connaissent qu’un seul mot : nature. 3700 canards passent ici une vie complète en vacances sur 10 hectares avec des maïs pour se mettre à l’ombre quand il fait trop chaud, la rivière pour se rafraichir et les meilleures graines à manger, cuisinées par Jean-Michel lui-même.
Le paysage ne serait pas complet si le reste de la chaîne de production n’assurait pas la qualité. Retour à l’église. « J’ai construit un atelier de transformation en 1991. Là aussi, j’ai essayé d’innover pour que, jusqu’au bout, le bien-être des animaux soit assuré. Ici on gave les canards dans des conditions décentes d’espace vital. On a beaucoup bataillé au sein de l’Association pour que nos normes soient retenues, mais les élevages industriels ont réussi à les détourner pour plus concentrer les animaux et évidemment générer plus de bénéfices. In fine, de toutes façons, c’est le consommateur qui arbitre. » Et il n’y a pas vraiment photo. Les foies gras mi-cuit, les magrets ou les confits de la Maison Berho présentent des risques de dangereuses addictions potentielles. Et comme Jean-Michel n’est pas à une innovation près, il pratique en autodidacte l’informatique et affiche désormais fièrement 40% de ses ventes par internet sur un site fait maison, à condition d’arriver à temps. « Je pourrai augmenter ma production mais je n’en ai pas l’intention, ça nuirait à la qualité. » Il n’y a plus qu’à se précipiter.
Ferme Eyhartzea
Place de l’église
64120 Domezain-Beraute
Tél : 05.59.65.83.61
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.