Liqueur légendaire de Navarre
Par Pierre Hivernat
Bon, ça commence mal pour l’histoire du paysan qui de génération en génération fait revivre une boisson alcoolisée dans la plus pure tradition basque. Jean-Marie Arçuby est moniteur de ski dans les Alpes. Et puis, histoire de vous embrouiller un peu plus sur le patxaran ou pacharan (prononcer patcharane), il vous accueille avec une production de figues et du pain d’épices. Heureusement il y a l’apéro pour éclaircir tout ça.
Direction un immense champ à côté de sa maison pour évaluer la matière première.

Arrivé à la maison Sendoaren Borda de Villefranque, Jean-Marie nous présente d’abord son figuier. Et comme nous sommes fin août, les figues à déguster qui vont avec. Si nous n’étions pas venus pour autre chose, on en serait resté là ; les fruits sont exceptionnels. « Il faut bien les laver avant de les manger, parce que juste avant la récolte je mets pas mal de pesticides pour qu’elles se conservent longtemps. » Il a l’air tellement sérieux que l’on a une seconde d’hésitation avant d’enclencher un départ précipité.

« Non, c’est une blague que je fais régulièrement quand le les vends au marché, il n’y a évidemment aucun traitement, ni avant, ni après la récolte, comme tout ce qu’il y a ici ! » Trêve de plaisanterie, Jean-Marie fait effectivement les marchés et commence par nous faire part de son ire contre tout ce qui n’est pas basque et néanmoins vendu comme tel. « C’est incroyable, parfois je fais la police moi-même quand je vois un étal avec le drapeau basque et le linge basque, purs décors pour vendre des produits industriels dont la plupart ne sont pas faits dans la région. »

Il s’agit plutôt d’un buisson que d’un arbre, dont les rameaux sont très épineux, très ramifiés et touffus.

Oui, d’accord, mais quand on est moniteur de ski au Club Med dans la Vallée de la Maurienne en Savoie, il ne faudrait peut-être pas trop la ramener, non ? Jean-Marie avoue volontiers que le modèle économique qui gouverne la production et la vente du pacharan de qualité ne permet pas de nourrir son homme. Même s’il a diversifié considérablement son offre avec du vin de noix (Intxaurra) ou un fantastique Vin d’épine noire (Xixta xuri) issu de la macération de jeunes pousses du prunelier dans du vin blanc, de l’alcool et du sucre (excellent avec un foie gras…), même s’il revend aussi un pain d’épices d’exception ; joindre les deux bouts et nourrir une famille au pacharan, ça ne marche pas. Alors l’hiver, quand il n’y a pas grand chose à faire sur la propriété, autant aller gagner des sous là où il y en a.

Quelques pommes aussi dans ses champs qu’il transforme en une de ses potions magiques.

Direction un immense champ à côté de sa maison pour évaluer la matière première. Car pour fabriquer du pacharan, il faut avant tout des prunelliers, à ne pas confondre avec des pruniers pour ceux qui ont beaucoup fait sauter les cours de S.V.T. au collège. Non, là, il s’agit plutôt d’un buisson que d’un arbre, dont les rameaux sont très épineux, très ramifiés et touffus. La chose fait trois à cinq mètres de haut et la prunelle, de la taille d’une bille, hésite entre le bleu foncé et le noir. Jean-Marie affiche 150 unités sur son champ, à proximité d’une rivière, car le prunelier aime bien l’humidité. Fin août, la récolte a commencé, généralement avec les amis comme saisonniers, histoire que l’ambiance soit au beau fixe pour un travail pénible dans un environnement avec plus d’épines que de fruits.

Et puis direction le laboratoire où la prunelle va devoir se lier d’une amitié fusionnelle de dix mois avec l’anisette maison, à raison de 100 kilos de prunelles pour 500 litres d’alcool. Tout le secret est donc là. Comme on peut l’imaginer, Jean-Marie ne nous en dira pas trop sur sa recette. Il part d’un alcool pur agricole, y fait macérer de l’anis vert et étoilé et puis ajoute sa patte, celle qui fait que son pacharan est au sommet. Et pourquoi donc ? Et bien parce que cet alcool titre 24° et que sa spécificité, c’est son goût de prunelle avec ce qu’il faut d’acidité. Si vous avez la main trop lourde sur l’anis, ou le sucre, vous vous retrouvez avec une soupe au Ricard et là, ça devient vite difficile de s’intégrer dans la culture basque.

Arrivés là, vous vous demandez bien si cette boisson a été inventée par Jean-Louis et ses copains. Et bien non. Soyons honnêtes tout de même, nos recherches historiques se sont arrêtées là où la légende a commencé. D’ailleurs, Jean-Marie n’insiste pas. « Selon la légende, le patxaran viendrait du Moyen Âge, plus exactement d’une recette des moines de l’abbaye de Leire qui furent appelés au chevet du roi de Navarre. Ils lui auraient administré une liqueur médicinale rouge, à priori à base de prunelles. Bref, le souverain s’en est sorti ! »

Côté histoire, il reste quand même quelques pistes validées. Après la prise de Pampelune par les troupes du Duc d’Albe en 1512, on trouve bien chez les souverains de Navarre un remède courant  pour les maux du système digestif du nom de Patxaran. Jean-Marie n’insiste pas, il sait qu’il vend la totalité de sa production parce que son pacharan est réellement bon et non pas légendaire.

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.

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