Léa ramène ses fraises
Par Emilie Dubrul
Enracinée dans la région de Duras depuis quatre générations, la famille Bireaud voue une véritable passion aux bons produits, qui ont goût de leur terroir. Ils aiment se présenter comme des « paysans et créateurs », travaillant avec exigence dans le respect du vivant et de la nature. La nouvelle génération, incarnée par Ivan et Léa, cultive désormais en biodynamique et montre qu’une autre agriculture est possible.
Seule au milieu de ces plates-bandes paillées et enherbées, Léa cueille minutieusement les premières commandes de la journée qui partiront à la superette du village ou à la très branchée enseigne bordelaise Magasin Général de chez Darwin. Protégées par de larges feuilles d’un vert foncé malgré la sècheresse du mois d’août, les remontantes de Cijosés dévoilent leur belle couleur vermillon. Ici les fraises sont cueillies à parfaite maturité, « très mûres, la veille ou le jour de la vente, pour un maximum de saveur » précise la jeune maraîchère un brin timide. La saveur, le goût : une exigence que sa maman explique fièrement : « Léa et son frère ont passé leur enfance dans le jardin. Quand ils étaient petits, on s’amusait à leur faire goûter fruits et légumes, ou à comparer à l’aveugle des herbes aromatiques parfois sauvages. Comme une initiation, un jeu qui les a éduqués au goût des bonnes choses. »
Forte de cette culture familiale, Léa est devenue ingénieure agronome. « J’ai toujours su que je voulais travailler le vivant. J’aime la diversité de ce travail, la rigueur qu’il impose et le fait de devoir se remettre en question car c’est toujours la nature qui a le dernier mot. J’ai choisi de faire des études d’agronomie pour avoir le choix. C’est une formation complète et transversale.» Après quelques expériences professionnelles notamment à l’étranger (aux Etats-Unis et en Argentine dans des petites exploitations viticoles) pour découvrir d’autres manières de produire, Léa finit par rejoindre l’exploitation familiale alors en pleine mutation. « Il était indispensable que je développe une nouvelle activité. Mes parents ne faisaient pas de fraises et c’est un produit qui me correspond assez bien. C’est un petit fruit fragile, sain, terriblement gourmand » précise-t-elle amusée. Chaque mercredi et jeudi de l’été, la ferme des Bireaud propose des ateliers du goût. « Avec ses nombreuses variétés, la fraise se prête bien à ces moments de partage. Nous les faisons déguster avec des plantes sauvages comestibles. C’est la gastronomie de la finesse » ajoute Léa.
Bio et dynamique à la fois
Sur le modèle de l’exploitation familiale que son frère ainé Ivan a convertie il y a quelques années en biodynamie, les fraises de Léa sont cultivées sans pesticides ni autres produits chimiques. « La biodynamie, c’est travailler la terre selon un système global, qui considère le sol comme un être vivant. Je la respecte et la nourrit, et en retour elle nous nourrit durablement. Je vois la biodynamie comme un outil qui nous permet d’aller vers l’autosuffisance » explique la jeune agronome. En s’appuyant sur la biodiversité existante comme le faisaient son père et son grand-père autrefois, orties, prêles et consoudes (plantes herbacées vivaces) sont plantées et récoltées dans le jardin pour la fabrication de décoctions.
«En prévision des maladies, nous pulvérisons de la prêle, une plante riche en silice qui épaissit les tissus de la plante et rend l’intrusion de parasites plus difficile.» Pour nourrir la terre qui nourrira ses fruits, Léa et Ivan fabriquent des purins ou un engrais vert appelé « bouse de corne 500 ». Une préparation qui favorise la vie microbienne et la formation d’humus. Grâce à cette fertilisation naturelle des sols, les fraises de Léa poussent dans une terre saine et bien nourrie qui donne aux aliments le goût unique de leur terroir. « Pour nous, la biodynamie n’est pas un engagement marketing verdissant mais un style de vie. Une philosophie. Nous avons la conviction profonde d’aller dans le bon sens » résume, convaincue, la jeune agricultrice.
Aujourd’hui, dans un paysage agricole où les vignes côtoient les prairies et les semis de céréales, où les premiers moutons occupent des parcelles ombragées, les mares ont même repris leur activité. Des points d’eau naturels qui irriguent le jardin de plantes mellifères, les potagers et les plates bandes de fraises. « Nous avons travaillé sur la notion d’autonomie en utilisant l’existant. Nous avons recréé un cycle naturel, en circuit fermé explique Léa. L’eau est pompée d’en bas, d’une marre naturelle où buvaient les vaches à l’époque puis est filtrée par des roseaux en remontant.» Ici, les fraises ne sont arrosées qu’une fois par semaine ou tous les 10 jours et non tout les deux jours comme ça se fait normalement, par un système de goutte à goutte. « Ce n’est pas parce qu’il y a de l’eau qu’il faut l’utiliser a gogo. Il faut vraiment prendre le strict nécessaire, la juste quantité dont la plante a vraiment besoin quitte a avoir des fruits plus petits. Les ressources ne sont pas renouvelables à l’infini, c’est donc important de les préserver. Et puis des fraises gorgées d’eau, ça n’a aucun goût ! »
La ferme des Bireaud forme donc un écosystème agricole assez exemplaire dont peuvent profiter de nombreux visiteurs grâce à un gîte et des sentiers botaniques. « Nous avons choisi d’ouvrir les portes de notre domaine pour partager des moments de convivialité, le métier de paysan étant parfois solitaire, voir individualiste. L’ouverture à des personnes venues d’ailleurs, à d’autres professions est pour nous une richesse » conclut Léa avant de retourner vers ses superbes fraisiers.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.