Pionnière de chapon
Par Ariane Puccini
À Grignols, petit village installé au milieu des Landes de Gascogne, on élève dans les jardins, la moitié de l’année, des chapons. Une poignée de producteurs ont réussi en une trentaine d’années à bâtir la réputation de cette volaille à la chair savoureuse. Elevés au grand air l’été, abrités et choyés l’hiver, nourris au grain puis au pain et au lait dans les derniers jours de l’élevage, les chapons de Grignols sont fêtés chaque année lors d’une foire qui se tient le dernier dimanche avant Noël à Grignols. Rencontre avec l’une des pionnières.
Nadine Castagnet n’a pourtant pas l’âme d’une castratrice, elle l’assure. D’ailleurs, cette septuagénaire n’avait jamais remarqué jusqu’ici que seules des femmes s’étaient collées à la délicate et irrévocable opération sur les gallus gallus domesticus du canton de Grignols, Sud Gironde. Elle en sourit mais préfère expliquer cette curieuse assignation à « la patience » des opérantes lors de la castration des coqs. « Il ne faut pas toucher l’artère fémorale ! », prévient-elle, sans rire. Nadine Castagnet, habitante de Marions, à quelques encablures de Grignols, compte ainsi parmi les rares producteurs locaux de chapons du même nom, le « chapon de Grignols » donc. Elle compta même parmi les premiers producteurs de chapons dans ce petit canton, il y a 25 ans. Ils sont aujourd’hui une dizaine à élever cette volaille qui fait des malheurs dans les repas de famille de fin d’année. Sa chair persillée et fondante a atteint une renommée qui pousse certains amateurs à faire des kilomètres, parfois depuis les côtes aquitaines, jusque sur ce petit bout de Landes de Gascogne pour venir chercher leur volaille. Et pourtant, au début, il s’agissait surtout de faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Six mois de patience
On est en 1988, et les quotas laitiers destinaient le surplus de production à la destruction. Les chapons, nourris dans leur dernier mois d’élevage au pain et au lait, permettaient de limiter le gaspillage. Il y avait aussi cette envie d’un restaurateur grignolais de proposer cette production locale à ses clients. A cette époque, Nadine Castagnet tenait encore le café du village où les boulistes du village se pressaient les week-ends. Elle était déjà familière des volailles. Car comme beaucoup dans les environs, elle en élevait dans son jardin, derrière le café, essentiellement des canards.
Epaulée par un vétérinaire, Nadine Castagnet se lance au côté d’une demi-douzaine de pionniers. Comme elle, les autres volontaires, souvent des retraités agricoles, n’élèvent des chapons que pour se constituer un complément de revenu, « pas des monts et merveilles », tempère pudiquement tout de même Nadine Castagnet aujourd’hui à la retraite. Ils comptent en moyenne entre 150 à 200 chapons par an dans leur élevage. Et ce n’est pas de tout repos, reconnaît la retraitée. « L’été, ça va encore quand les chapons sont à l’extérieur, mais c’est plus fatiguant l’hiver quand ils sont mis à l’abri, dans l’ancienne étable, et qu’il faut leur apporter l’eau, le grain, et puis le pain et le lait. » En tout, il faut six mois de patience entre début juillet, quand les éleveurs reçoivent leurs volailles castrées, et la fin décembre quand elles sont vendues.
Cape et chapeau à plume
Nadine Castagnet aime le travail bien fait. Se rendre à l’abattoir n’a jamais été une partie de plaisir pour elle. « C’est vite fait, en série. À la sortie de l’abattoir, il reste toujours des plumes », rouspète-t-elle, une main balayant machinalement la nappe de la table du salon. En décembre, vient la vente des chapons. Le village de Grignols et l’association d’éleveurs, que présidait il y a encore deux ans Nadine Castagnet, a même lancé sa foire pour célébrer le coq castré. Le dernier dimanche avant Noël, chaque année depuis 28 ans, le village est en émoi et attire presque le double de sa population en gourmands venus de toute la région. Et pour l’occasion, Nadine Castagnet revêt le costume de la confrérie du Chapon de Grignols dont elle s’occupe. Une cape, un chapeau à plume, une médaille dorée à l’effigie du petit coq castré, un habit d’apparat pour introniser les personnalités locales… il faut bien cela pour assurer la promotion des chapons.
Nadine n’a pas compté non plus les déplacements dans le sud-ouest pour représenter les couleurs du chapon grignolais. Aujourd’hui, la majorité des ventes n’a plus lieu lors de la foire, preuve que Nadine Castagnet ne s’est pas vainement démenée. Lors de ce dernier dimanche avant Noël, elle a déjà écoulé une bonne partie de sa volaille, comme les autres producteurs du canton. « Le bouche à oreille ! » explique Nadine Castagnet laconiquement. Les gourmands se sont déjà rendus chez elle pour récupérer leur chapon. En janvier, chaque année, tout est vendu. Taiseuse mais hardie, Nadine Castagnet qui avoue « toujours tout essayer », a tenté d’élever et de vendre des chapons toute l’année, sans succès. Le chapon continuera donc d’être produit pour la fin d’année uniquement. Mais aujourd’hui, malgré le succès, l’éleveuse s’inquiète un peu de l’avenir de la production du Chapon de Grignols. Elle-même a déjà réduit de moitié la taille de son élevage. Mais elle ne désespère pas. L’association s’est donné un nouveau souffle. Nouveau logo, promotion sur internet… Nadine Castagnet attend la relève de pied ferme.
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.
Rencontrez
Nadine CastagnetProductrice de Chapons
Foire du Chapon de Grignols
Allée Saint-Michel33690 Grignols